Brad ANDERSON, The Machinist

Pas très connu, ce film à petit budget de Brad ANDERSON, porté par un Christian BALE époustouflant, est pourtant un authentique joyau. The Machinist est le digne représentant d’un certain cinéma américain qui a encore (on pourrait parfois en douter…) quelque chose d’intéressant à dire. Il inverse notamment un procédé scénaristique vieux comme le cinéma, j’entends par là la plongée dans le surnaturel…



Blindman in the dark – Gov’t Mule

Trevor REZNIK est un ouvrier
. Fait à porter à votre attention, car entre deux effets de pyrotechnie on aurait presque fini par croire que ces derniers temps les Etats-Unis n’étaient plus peuplés que par super-héros stéroïdés ou des super-flics surarmés. Un ouvrier, donc, de ceux que leur pays n’est pas (encore) parvenu à exterminer tout à fait. Tout le film se passe d’ailleurs dans le milieu de ces gens de peu, prolos, serveuses, prostituées, pas vraiment déglingués mais tout de même bien abîmés par la vie.


Trevor REZNIK n’a certes pas une vie que l’on pourrait qualifier de glorieuse
. Il est machiniste et ne gagne pas des mille et des cents, se contentant d’un confort acceptable mais médiocre. Niveau sentimental, il est l’un des clients réguliers d’une prostituée au grand cœur qui exerce son métier comme Trevor exerce le sien, avec sérieux et compétence.


Trevor REZNIK a de sérieux problèmes
. Il ne dort quasiment plus depuis un an. Il dépérit de plus en plus, sa silhouette devenant progressivement squelettique. Son état commence à lui faire commettre des très graves erreurs professionnelles : un accident grave coûtera un bras à un de ses collègues. Trevor REZNIK est un homme hanté, sujet à des hallucinations, qui commence à complètement perdre pied et qui va bientôt craquer.


Trying not to fall  - Gov’t Mule

Vous vous souvenez sans doute de cette vieille publicité qui nous affirmait qu’une boisson ressemblait à de la bière, avait le goût de la bière, mais n’était pas de la bière ? Eh bien, The Machinist, c’est exactement la même chose. Il ressemble à un film fantastique, il emprunte la structure scénaristique d’un film fantastique…mais, vous l’autre compris, ce n’est pas un film fantastique du tout ! Au contraire, tout en empruntant le schéma du film surnaturel, et en empruntant certains procédés proches du cinéma de David LYNCH, c’est une oeuvre terriblement réaliste et sans une once de surnaturel.


Lorsque vous voyez ce film, vous réalisez à quel point nous sommes modelés par les clichés propres au cinéma et aux séries télé. On vous met une lumière un peu glauque, le personnage principal a l’air paumé, des événements étranges surviennent, et bing ! vous l’avez rangé dans un petite case bien commode. Enfin, ce jusqu’à ce que ledit petit film vous secoue le cocotier en vous faisant bien comprendre que si vous aviez vraiment réfléchi deux minutes à ce qu’on vous montrait vous ne seriez pas tombé dans le panneau à pieds joints. Vous voulez une confidence (le film en regorge, alors c’est de circonstance) ? JE SUIS tombé dedans à pieds joints !! ^_^


Beautifully broken  - Gov’t Mule

Ce qui est en revanche exact, c’est que Trevor REZNIK est en train de complètement dégringoler. Ah oui c’est vrai, il essaie bien d’inverser la pente, de se lier d’amitié avec une jolie veuve et son jeune fils, il envisage même de passer aux choses sérieuses avec sa gentille péripatéticienne. Mais que voulez-vous ? Lorsqu’à force de manque de sommeil le corps et l’esprit flanchent, rien ne peut longtemps différer ce qui doit fatalement arriver : vous vous effondrez. Et vous êtes alors obligé de regarder la vérité en face. Et la vérité est parfois hideuse.


C’est un peu étrange à dire en 2017, dans une société aussi sécularisée que la nôtre, mais The Machinist est, très profondément, un film chrétien. Derrière son habile apparence de film de genre, il traite de rien de moins que du péché, de la culpabilité et de la rédemption. De ce qui a été probablement à l’origine même des grands monothéismes : savoir ce qu’est le bien, le mal, et comment expier ce dernier.


On parle ici de la vraie culpabilité
. Celle qui vous ronge comme un acide. Celle qui est tellement insupportable à envisager que votre esprit l’occulte. Celle pour laquelle vous seriez prêt à faire tout, absolument n’importe quoi, pour avoir une seconde chance, une chance de ne pas commettre la même erreur. Oui, vous feriez n’importe quoi, mais même ça ne servirait à rien – car tel est le drame de l’homme, que jamais, jamais, il ne peut défaire ce qu’il a fait.


I shall return – Gov’t Mule

Oui, Trevor REZNICK a commis un acte épouvantable. Mais pas l’acte réfléchi d’un criminel endurci. Non, il a commis un acte épouvantable que n’importe lequel d’entre nous, sur un simple moment d’inattention, pourrait commettre. C’est ce qui le rend plus affreux encore : Trevor REZNICK, qui est profondément quelqu’un de bien malgré tous ses errements, devra rendre compte d’un acte qui lui est, en quelque sorte, tombé dessus. Assumer son acte, aussi involontaire soit-il, est une nécessité – pour la société, mais aussi pour lui.


C’est, au bout du bout, ce qu’il finit par comprendre. Surmontant une chape colossale de déni, de peur et de culpabilité, Trevor REZNICK finit par assumer son acte et les conséquences qui vont avec, et malgré le sort peu enviable qui l’attend probablement, retrouve le sommeil. Et malgré ce qu’il a pu commettre de mal, il est difficile de ne pas éprouver de l’admiration pour lui, qui fait face à l’adversité le front haut et avec le courage de reconnaître ses torts.


Eh bien oui ! On peut dire que ce film est une belle leçon de morale, au sens le plus noble du terme. Pas de bondieuseries ou de moraline bêlante, rien qu’un rappel que l’existence est souvent dure, erratique, que le malheur peut frapper en un instant et que le meilleur d’entre nous est propre à commettre la pire des erreurs. Reconnaître cet état de fait est déjà un bon pas vers l’état ô combien ! difficile à atteindre d’homme ou de femme responsable…



« Que celui d’entre vous est sans péché lui jette le premier une pierre ! » Et, se baissant de nouveau, [Jésus] écrivait sur le sol. Mais eux, entendant cela, s’en allèrent un à un, en commençant pas les plus vieux ; et il fut laissé seul, avec la femme toujours là au milieu. Alors, se redressant, Jésus lui dit : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle dit : « Personne, Seigneur. ». Alors Jésus dit : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus. »

Evangile selon Jean, VIII – 7 à 11

Bruno B. Bibliothécaire


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