John Ronald Reuel TOLKIEN, Le Silmarillion

A moins d’avoir passé les 20 dernières années en vacances du côté d’Alpha du Centaure, vous avez forcément au moins entendu parler de TOLKIEN, l’auteur de Bilbo le Hobbit et du Seigneur des Anneaux, romans adaptés tous deux au cinéma par Peter JACKSON.


Mais en-dehors de ces classiques, l’œuvre de TOLKIEN est en réalité bien souvent méconnue.


Il est en ainsi du Silmarillion, qui, bien qu’inachevé, est pourtant sans conteste une œuvre majeure, au cœur du projet littéraire de TOLKIEN.




Ainulindalë (« La grande musique »)


L’œuvre littéraire de TOLKIEN est, à proprement parler, unique. Plus que leur style ou leur intrigue, ce qui frappe dans ses romans est la présence d’un arrière-plan que l’on devine considérable. A chaque page se profile en filigrane un monde imaginaire dont il ne nous laisse percevoir que quelques bribes éparses. C’est ce phénomène d’étrangeté, de découverte absolue, qui a fasciné des millions de lecteurs à travers le monde. 


Certes, l’idée de créer un monde ou une époque imaginaire n’était déjà plus tout à fait nouvelle lorsqu’il rédigea Bilbo le Hobbit dans les années 30. De l’autre côté de l’Atlantique, les auteurs de pulps s’étaient déjà bien engagés sur cette voie – que l’on songe à Robert E. HOWARD, et à son mythique Âge Hyborien dans lequel évolue Conan le Cimmérien. Mais la démarche de TOLKIEN était singulière à au moins trois titres




Tout d’abord, par son attachement à l’idée d’un monde imaginaire autonome. D’un point de vue littéraire, il ne s’intéressait guère à notre propre monde réel, qu’il trouvait bien souvent déprimant. Même s’il prétendait que ses œuvres s’inscrivaient dans le très lointain passé de notre propre monde, il créait en fait quelque chose de tout à fait nouveau : preuve en est sa création de toutes pièces de langues entières (le Sindarin, par exemple). 


Ensuite par l’étendue de son ambition. Car son ambition première était de créer une mythologie propre à l’Angleterre, s’inspirant pour cela d’autres mythologies. La mythologie scandinave était clairement convoquée, mais des bribes de plusieurs autres mythologies, ainsi que de l’Ancien Testament, sont perceptibles à qui sait les chercher. Sans compter sa réinterprétation du folklore : il reprit par exemple à son compte les trolls, les elfes et autres créatures imaginaires, mais en leur apportant une nouvelle dimension qui les éloignait des contes de fées tels que fixés en Europe aux XVIIème et XVIIIème siècles.


Enfin, sa démarche était radicalement unique de par sa durée. TOLKIEN e travaillé sur son œuvre de manière discontinue mais sans aucune interruption véritable de 1917 à sa mort en 1973… Ce qui explique que toute tentative de « refaire le match » avec TOLKIEN est vouée à l’échec : son œuvre n’était pas une part de son existence, elle faisait littéralement partie de lui. 



Quenta Silmarillion (« L’histoire des Silmarils »)


Le Silmarillion est un composé de plusieurs récits mythiques, décrivant la création du monde et racontant les premiers âges d’Arda, la Terre. Bien qu’inachevé - TOLKIEN mourut alors qu’il y travaillait encore - le Silmarillion n’en est pas moins sa grande œuvre, celle qui lui tenait le plus à cœur, celle sur laquelle il travaillait déjà en 1917. 


On a pu comparer TOLKIEN à l’antique aède HOMERE, et non sans quelque raison. L’un comme l’autre ont su unifier en un tout cohérent des légendes et mythes épars, en concentrant leur attention sur les récits qui leur paraissaient les plus captivants. Mais la différence colossale entre les deux…c’est que TOLKIEN créa lui-même, non seulement les mythes et légendes auxquels se référaient les histoires, mais également le monde lui-même, et jusqu’aux divinités qui présidaient au destin de ce monde !! Il n’est pas exagéré de dire que, de toute l’histoire de la littérature, jamais on ne vit tentation aussi démiurgique que celle de TOLKIEN !



 
Cela ne se fit pas en un jour. Tout le contraire d’un auteur fulgurant, TOLKIEN, qui devait de surcroît assumer les charges de père de famille et de titulaire d’une chaire d’enseignement à Oxford, reprit maintes et maintes fois son travail, le corrigeant et le complétant. On retrouve les traces de son cheminement intellectuel et artistique notamment dans les Contes et légendes inachevés et dans Le livre des contes perdus, qui donnent une bonne idée de sa démarche (et du travail acharné qui lui fut nécessaire pour en arriver là). 


Il n’en demeure pas moins que le résultat est là : une cosmogonie, une Terre, plusieurs langues, une mythologie…tel fut le fruit de ses efforts, cette toile de fond que le Silmarillion explicite mais qui était déjà perceptible dans l’ensemble de son œuvre. Il est peu de dire que la postérité de TOLKIEN fut colossale. Sans même évoquer les adaptations cinématographiques de ses romans, il a inspiré des cohortes de créateurs, romanciers (Margaret WEIS, R.A. SALVATORE) et concepteurs de jeux de rôle (Gary GYGAX, le créateur du concept, était un grand fan). Il a créé l’arrière-plan sur lequel repose beaucoup de RPG ou de MMORPG tels Baldur’s Gate, Eye of the Beholder, World of Warcraft, etc…



Akallabêth (« L’Engloutie »)


Seulement, la reprise de l’univers de TOLKIEN fut bien souvent superficielle. En 2017 on retrouve partout, dans les jeux, la BD, la littérature, des univers polythéistes et pseudo-médiévaux, des nains bougons et des elfes pompeux, des épées magiques et de maléfiques nécromanciens… Comme le dit brillamment la grande romancière Ursula LE GUIN : « Ainsi, les gens se tournent vers les royaumes de la fantasy pour y trouver stabilité, vérités ancestrales, axiomes immuables. Et les moulins du capitalisme les leur fournissent. L’offre répond à la demande. Le merveilleux devient un produit, une industrie. » Ce n’est sans doute pas pour rien que certains auteurs plus malicieux que d’autres finirent par transformer ce courant de pseudo-fantasy en joyeuse pochade bien barrée, à l’instar de Carl LANG et son Donjon de Naheulbeuk


Mélian, ©2010-2017 LadyElleth


Ce phénomène aurait sans doute affligé TOLKIEN, mais non surpris. D’abord parce qu’il eut à faire face de son vivant à diverses avanies qui ne lui laissèrent que peu d’illusions sur les milieux littéraires. Ensuite parce que qu’il ne serait que trop bien accordé à sa vision pessimiste de l’existence. TOLKIEN, catholique au sein d’un pays anglican et croyant sincère, voyait explicitement  en notre monde matériel un monde déchu, point de vue qu’il a exprimé noir sur blanc dans certaines lettres à ses fils. Pas très surprenant, en somme, qu’il ait dans ces conditions cherché à créer son propre univers… Univers dans lequel, et c’est tout à fait évident dans le Silmarillion, le thème de la Chute est omniprésent : perversion d’Arda par Morgoth, péché originel des Noldor rebelles, etc…


Cette vision d’une œuvre unique et irremplaçable, dont la destruction est synonyme de grand malheur, on la retrouve sous sa propre plume, lors du dialogue poignant entre Fëanor et Olwë, alors que le premier exige du second qu’il lui remette les navires façonnés par son peuple : « Car je te le dis, Fëanor, fils de Finwë, [ces navires] sont pour nous ce que les joyaux sont aux Noldor : ils viennent de notre cœur, et nous n’en ferons plus de pareils. ». 


Tel est, telle que résumée en deux lignes, la force de l’œuvre d’un véritable créateur : un prolongement de son existence même, ce en quoi il a mis un peu de sa vie et de son âme, et avec laquelle il contribuera, oh si peu, mais contribuera tout de même, à rendre notre monde déchu un peu plus beau. 

Bruno B. , bibliothécaire

emprunter Le Silmarillion à la Bibliothèque



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