L'avenir de la démocratie Partie 3 : Christophe GUILLUY

Fractures françaises, La France périphérique et Le crépuscule de la France d'en haut constituent une trilogie d'essais parmi les plus pertinents jamais parus sur la France des années 2010. Si le géographe Christophe GUILLUY n'est peut-être pas le plus connu des intellectuels français, il est sans aucun doute un de ceux dont la contribution au débat grand public est la plus marquante.


Christophe GUILLUY et son oeuvre

A une époque où la pseudo-provocation et les coups de menton supplantent trop souvent la réflexion de fond, se plonger dans ces trois petits livres est, je le reconnais, un régal.
Ses essais abordent des thématiques assez différentes, mais en somme tournent toujours autour de deux idées simples.
D'une part, que la focalisation médiatique sur les banlieues difficiles masque la réalité dégradée d'une part croissante du territoire français, qu'il estime à 60% de sa superficie.
D'autre part, que cet abandon finit par entraîner une bien compréhensible recomposition politique qui ne paraissait pas évidente il y a encore quelques années, mais qui devient patente en ce début 2017.
J'ai considérablement résumé sa pensée, qui est bien plus riche que ce que j'en ai laissé paraître, mais elle se concentre globalement sur ces deux aspects.

Son intérêt est triple. Elle fournit tout d'abord un constat. On peut le partager, le critiquer, l'amender et même le réfuter, mais il existe, se basant sur des faits réels et des observations recoupées qui ne peuvent pas être ignorées.
Elle fournit ensuite une grille d'analyse. A partir du constat, Christophe GUILLUY étend son champ d'observation et s'efforce de tirer des conclusions cohérentes avec ses observations.
Et enfin, elle offre matière à prospectives. L'auteur ne disposant pas de don de voyance, il doit, en bon scientifique, fournir les hypothèses qui lui paraissent les plus crédibles.


Le constat

Presque les deux-tiers de la France sont en train de décrocher, de devenir
« périphérique ». Tel est, concentré à l'extrême, le constat que nous offre Christophe GUILLUY. Or, les deux-tiers, c'est la majorité du territoire, pas seulement le cul-de-sac style Triffouilly-les-trois-canards, département de la Creuse.
La thèse peut paraître outrée, mais l'argumentation de GUILLUY est solide. Pour être tout à fait juste, lui-même a admis dans certaines interviews avoir particulièrement insisté sur ce point par réaction au misérabilisme systématique auquel étaient réduites les seules banlieues dites « difficiles », arbre cachant la forêt.

Seraient concernés selon lui tous les territoires qui n'auraient pas la chance d'être rattachés à Paris ou à une métropole régionale, poumons de plus en plus exclusifs de la croissance économique française.
A contrario, les ensembles métropolitains tireraient leur épingle du jeu en raison de leur concentration humaine, administrative, logistique et politique.
A noter que dans sa conception, les banlieues sont intégrées : quoique parfois très pauvres, elles servent d'ascenseur social à une partie des migrants de fraîche date, qui sont employés par les classes moyennes et supérieures des métropoles.


L'analyse

Tout cela est bel et bon, me direz-vous, mais quel rapport avec la démocratie?
En fait, le lien est direct. Au final, trois France se font face et se regardent en chien de faïence : les banlieues ethnicisées, les métropoles mondialisées et la France périphérique populaire.
L'analyse qu'il fait de la situation rejoint celles de Philippe MURAY et Christopher LASCH, à savoir une véritable sécession des métropoles mondialisées et gentrifiées, en apesanteur au-dessus d'une France avec laquelle elles n'entretiennent presque plus aucun rapport.

Or, tout ceci a un impact évident sur les intentions de vote, ce que nous pouvons d'ores et déjà percevoir en cette période électorale.
La question culturelle est au cœur d'une grande partie de l'électorat banlieusard d'origine immigrée, plus traditionnel que les métropoles auxquelles ces banlieues sont pourtant rattachées.
Les métropoles sont dans l'ensemble libérales (dans les deux acceptions du terme) et forment avec les retraités le coeur de l'électorat des grands partis de gouvernement.
Enfin, reste la France périphérique, qui dans son délaissement se tourne de plus en plus vers le vote frontiste. 


Prospectives

La démocratie, depuis l'Athènes antique jusqu'à la France actuelle, ne peut tenir bon que si elle dispose d'une classe moyenne dominante.
Or, si tel est le discours tenu dans notre pays depuis des décennies, la réalité économique, sociale et géographique brutale est que les classes populaires (employés et ouvriers) demeurent majoritaires et surtout sont de plus en plus malmenées depuis plus de 30 ans.

C'est pour cette raison qu'il est très probable que le panorama politique se modifie rapidement au cours des prochaines années. Ce qui n'est pas un drame en soi : l'histoire française est riche de recompositions politiques, de partis qui disparaissent ou apparaissent, ou encore dont le corpus idéologique évolue au point de devenir méconnaissable.
Non, ce qui représente un risque majeur, c'est paradoxalement le refus forcené de la part d'une majorité des élites politiques françaises d'accepter l'existence de nouveaux conflits politiques. Seulement, comme le disait à juste titre le juriste allemand Carl SCHMITT dans « La notion de politique », la caractéristique première du politique est de distinguer l'ami de l'ennemi, et d'être capable de nommer les conflits afin de les pouvoir résoudre.

Le fait est qu'on en est à ce jour très, très loin. Christophe GUILLUY en convient, et prévient, dans les dernières pages de La France périphérique : « Sans émergence de cette nouvelle géopolitique, c'est-à-dire de nouveaux rapports de force, le risque est réel de voir les radicalités sociales et politiques se multiplier et le conflit muter vers une forme de guerre à basse tension ».

Je ne vois malheureusement rien qui, au cours de ces dernières années tumultueuses, viendrait lui donner tort. 


Bruno B., Bibliothécaire

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