L’évangile selon Saint Matthieu, de Pier Paolo Pasolini

Une œuvre unique au monde : un des plus grands réalisateurs italiens s’ingénie, en 1964,  non seulement à aborder la vie de Jésus, mais de surcroît à adapter littéralement un des évangiles…et avec succès !

la vie de Jésus adaptée littéralement par Pasolini

Un film de Pier Paolo Pasolini

Un paradoxe apparent...

Concernant ce film, il est impossible de passer sous silence ce qui s’apparente à l’un des plus magnifiques paradoxes de toute l’histoire du cinéma.
À savoir : que « L’évangile selon Saint Matthieu », à ce jour considéré comme l’un des plus beaux films jamais réalisé sur la vie de Jésus, bardé de prix et de récompenses, présenté par l’Église Catholique elle-même comme un chef-d’œuvre, a été conçu par un communiste athée homosexuel qui avait été condamné l’année précédente à 4 mois de prison avec sursis pour blasphème à la religion d’état !!


Pasolini, une des plus fortes personnalités du cinéma italien des années 60 et 70, qui pourtant n’en manquait pas, avait en réalité le profil idéal.
Comme tous les Italiens de son temps, il avait été élevé dans la foi chrétienne, et plus spécifiquement catholique. Il n’en ignorait donc rien.
Mais en même temps son athéisme personnel lui permettait de s’abstraire de cette influence, sans pour autant la renier.
Sans oublier un soupçon de religiosité, qui sans prendre de forme bien définie, irrigue l’ensemble de son œuvre (tout à fait visible dans « Théorème », par exemple). 


Marie

Quelques mots d’histoire…

 
Aborder le thème de la vie de Jésus ne va pas sans quelque complication.

Jésus est bien évidemment le marqueur majeur de notre civilisation occidentale judéo-chrétienne.
Et si la réalité de l’existence d’un prêcheur nommé Jésus vivant en Judée au début de notre ère ne fait pas débat, se pose la question de l’interprétation que l’on donne de sa vie.
Or, si l’on met de côté de côté quelques brèves allusions à Jésus chez des auteurs latinisés, l’essentiel ce qui a été écrit sur le personnage au 1er siècle fut le fait des évangiles.

L’évangile selon Matthieu est, avec ceux de Luc et de Marc, l’un des trois évangiles dits « Synoptiques », ainsi nommés en raison de leur structure similaire.
On ne sait que peu de choses sur Matthieu, notamment s’il fut l’auteur unique de l’évangile ; quant à la date de la rédaction du texte, elle est sujette à caution (entre 75 et 90 après JC semble une fourchette acceptable).

En tout état de cause, le sujet en est clair : la vie de Jésus, son œuvre de prédication, son supplice et sa résurrection. 


Jésus, le marqueur majeur de notre civilisation occidentale judéo-chrétienne

Pourquoi Pasolini choisit-il d’adapter spécialement un évangile ? Et pourquoi celui-ci en particulier ?
En fait, bien que souhaitant depuis quelques années aborder la vie de Jésus, Pasolini s’est trouvé quelque peu contraint et forcé dans sa démarche.
En effet, comme signalé plus haut, il avait été condamné un an auparavant pour blasphème, en raison de certains passages controversés d’un de ses courts-métrages.
Pour cette raison, les banques, prêtes à financer son prochain film mais n’ayant pas envie d’être associées à un futur scandale, n’acceptèrent d’avancer l’argent nécessaire à la mise en place du projet qu’à la condition expresse que les autorités catholiques italiennes y soient associées. Ce que Pasolini accepta.

C’est ainsi que, ne souhaitant pas prêter le flanc à la critique, il choisit de prendre comme support scénaristique l’évangile de Matthieu, le plus populaire et apprécié en Italie, et dans la traduction italienne la plus consensuelle.

Mais son sens du consensus s’arrêta là, au moment de procéder à un choix stylistique unique : transcrire l’évangile…littéralement.

Le style fait l’homme

 
Car c’est ce qui singularise sa démarche.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, aucun réalisateur ne l’avait fait avant lui. Il a ainsi repris l’évangile tel quel, reprenant en particulier les paroles de Jésus telle qu’elles sont relatées, sans en changer ne fut-ce qu’un mot ou une virgule.

Étant pour cette raison inattaquable sur le fond, il sut tirer tout le profit de ce qui aurait pu s’avérer un handicap insurmontable.
Car, autre caractéristique du film, les acteurs ne jouent pas, ils incarnent leur personnage.
Le film ne comporte en effet aucun acteur professionnel, pas même celui qui incarne Jésus, un étudiant espagnol dont ce fut l’unique expérience dans le monde du cinéma, et dont la présence charismatique domine pourtant tout le long-métrage.

Pasolini semble avoir cherché à faire correspondre au maximum chaque interprète avec chaque personnage, non en fonction de la manière dont ils pouvaient le jouer, mais bien dont ils le représentaient.
Qu’il ait ainsi donné le rôle des soldats d’Hérode à de réels militants d’extrême droite n’est pas un hasard, pas plus que celui de Jésus à un contestataire communiste espagnol, ou celui de la Vierge Marie…à sa propre mère!

Enfin, dans sa démarche artistique, il rompt totalement avec la tendance un peu kitch et bondieusarde qui pouvait régner dans certains films hollywoodiens. Bien qu’une caméra agile ne cesse de fixer Jésus et ses vis-à-vis, le tempo donne une impression de lenteur, d’éternité. Rien d’autre qu’un enchaînement inéluctable, qui s’annonce pas après pas, discours après discours.
Sentiment que renforce encore l’atmosphère propre aux lieux du tournage : le choix de filmer dans le Sud de l’Italie, encore très pauvre et rural à cette époque, confère au film une authenticité rare. Choix qui ne devait rien au hasard. 


Un film authentique

Sentiment religieux du réalisateur

Pasolini, à la pointe de la modernité à bien des égards, avait néanmoins beaucoup d’affection pour le vieux monde paysan.
Et son engagement communiste lui faisait voir avec sympathie l’éloge de la pauvreté digne prêché par Jésus.
Ce par quoi Pasolini, quoi qu’il ait pu dire de lui-même, avoue la persistance chez lui d’un authentique sentiment religieux.

Dans l’un des passages du film, un riche notable demande à Jésus quel est le plus grand Commandement.
Ce à quoi il répond : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton esprit. Le second [Commandement] lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Tout simplement. 


Bruno B.

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