Transmetropolitan

Enfin éditée intégralement par Urban Comics, cette mini-série en 5 gros (très gros!) volumes est une des grandes BD américaines du début du XXIème siècle, qui lança Warren ELLIS comme un des scénaristes majeurs de comics de son temps.

Transmetropolitan

Transmetropolitan, une mini-série De Warren ELLIS et Darick ROBERTSON

Nobody Loves You (Garbage – album Beautiful Garbage)


Si d'aventure vous aviez le douteux privilège de connaître Spider Jerusalem (ce qui laisserait planer quelques doutes sur votre propre honorabilité, mais passons), vous hésiteriez à coup sûr à le présenter à votre petite sœur. Ou à votre grande sœur. Ou à votre frère. Ou... Bon, ne nous voilons pas la face : en fait, vous ne présenteriez Spider Jerusalem à personne. 

Vous auriez pour tout dire quelques très bonnes raisons pour cela. 

Ce qu'on peut dire de mieux de Spider Jerusalem, c'est que c'est un agité du bonnet maniaco-dépressif, grossier, violent, armé (et dangereux).
 

Dans ses moments les plus paisibles, il reste chez lui à se battre avec son chat à 2 têtes et ses appareils électroménagers connectés, quand il ne mate pas des pornos déviants sous l'emprise de l'alcool et de la drogue.

le chat mutant de Spider Jerusalem

Quoi ? Non, désolé, je ne viens pas de vous décrire le Grand Méchant de la série.
Spider Jerusalem en est le héros.
Ce qui vous donne une idée approximative de l'indicible vilenie du Grand Méchant (parce qu'il y en a un!).
 

Vous avez le droit de pleurer, si vous voulez. 

Motor City is burning (MC5 – album Kick out the jams)


Transmetropolitan est un OVNI total dans le monde des comics.
 

Mini-série née en 1997 sous le label Vertigo de l'éditeur DC Comics, dédié aux publications adultes, c'est un des rares exemples d'une œuvre menée 5 ans d'affilée et de bout en bout par 2 auteurs dont la complicité et l'implication s'impose à chaque page : Darick ROBERTSON pour le dessin, et Warren ELLIS pour le scénario.

L'histoire raconte les tribulations hallucinées du journaliste-culte Spider Jerusalem dans une New York futuriste (jamais nommée explicitement, mais c'est bien New York!) qui ferait passer la Babylone biblique pour un refuge de Carmélites.
 

Car cette ville est LA Ville, ou plutôt la Ville cyberpunk totale, futuriste et nihiliste, grouillante, violente et frénétique ; aux valeurs morales déliquescentes ; gangrenée par une science définitivement devenue sans conscience ; à l'environnement politique corrompu et dégénéré. 


 Ville cyberpunk totale

Darick ROBERTSON dresse de son trait rigoureux une ville surchargée, surpeuplée, chaque case ou presque laissant apparaître les détails d'un environnement urbain à 2 doigts de sombrer dans la démence pure, dans une ambiance punk/new wave/rock alternatif totalement dingue. (À ce sujet, un conseil : lisez cette BD en musique! En plus des auteurs cités dans les intertitres, je vous recommande de mettre en fond sonore Nirvana, The Cure, les Clash, et les Sex Pistols. C'est ce que j'ai fait, et ça rend du tonnerre de Dieu !)

Mais c'est la maestria de Warren ELLIS qui force l'admiration : faisant preuve épisode après épisode d'une imagination proprement bluffante, il reprend à son compte tous les grands thèmes de la littérature cyberpunk : technologie, environnement, politique, médias...
 

On retrouve le meilleur de Frank Brunner (Tous à Zanzibar), Norman Spinrad (Jack Barron et l'éternité), William Gibson (Neuromancien), et  de probablement beaucoup d'autres auteurs de SF.
 

On peut dire sans exagérer que Transmetropolitan a su admirablement synthétiser 30 ans de SF, au même titre que Matrix au cinéma à la même époque. 

Beautiful Freak (Eels – album Beautiful Freak)


Pourtant, derrière la BD de SF se profile quelque chose de beaucoup plus intemporel.
Car, si Spider Jerusalem est un type parfaitement infréquentable, c'est aussi, et c'est surtout, un très grand journaliste. Un professionnel de très haute volée, qui cache derrière ses insupportables provocations une vraie éthique journalistique, croyant viscéralement que le 4ème pouvoir, celui des médias, a le pouvoir d'améliorer le monde.

Certaines des plus belles scènes de la série montrent ainsi comment un authentique junkie débauché et mal embouché peut se métamorphoser en défenseur de la Vérité, parfois au péril de sa vie.
Des moments de grâce où un Spider Jerusalem transfiguré rédige avec rage un article dénonçant une injustice.
Des moments de blues où, seul avec lui-même, il médite sur le monde étrange qu'il est amené à observer, son regard inhabituellement grave scrutant la Ville qu'il adore, qu'il hait, et qu'il n'arrive jamais à quitter longtemps.

Spider Jerusalem est au fond la réactualisation de la figure du journaliste/écrivain dur à cuire dont l'Amérique a toujours été friande, de Jack London à Norman Mailer, en passant bien entendu par celui qui est peut-être son modèle, Hunter S. Thompson, un personnage «bigger than life» qui pourrait être le sujet de ses propres écrits.

Car, et c'est assez rare pour être souligné, la série exalte le plaisir d'écrire, de créer, de raconter le monde tel qui est ou tel qu'on le voit ou tel qu'on souhaiterait qu'il soit. Les seuls moments où Spider Jerusalem est heureux, c'est lorsqu'il a un clavier sous ses doigts et qu'il décrit son époque.
 

C'est pour ça que, malgré la dureté du propos, malgré la cruauté de la Ville, Transmetropolitan est une vraie bouffée d'oxygène, un truc qui vous redonne une pêche d'enfer et l'envie de vous colleter avec le vaste monde.
Rien que pour ça, c'est une lecture incomparable. 



Electro ménager connecté


«Peut-être que ça signifiait quelque chose. Peut-être pas, à longue échéance...mais aucune explication, aucun mélange de mots et de musique ou de souvenirs ne peut restituer le sens qu'on avait de se sentir là et vivant dans ce coin du temps et de l'univers. Quel qu'en ait été le sens...».
Hunter S. Thompson, Las Vegas Parano.

Bruno B.



Aucun commentaire:

Fourni par Blogger.