Soldats inconnus : échange avec Paul Tumelaire

NÎMES OPEN GAME ART

"Soldats inconnus, mémoires de la grande guerre" est un jeu vidéo produit en 2014 par Ubisoft, société phare de production de jeux vidéo grand public et à succès, mais qui de sa conception à sa distribution, n’a que peu à voir avec la logique éditoriale de tous les autres produits de cette société. L’histoire s’appuie sur plusieurs personnages d’origines différentes qui se trouvent au cœur de l’horreur de cette guerre. Pour s’en sortir, seule l’entraide et la fraternité sont de mise.



C’est pourquoi dans le cadre du Nîmes Open Game Art, Paul Tumelaire est invité afin de nous raconter l’histoire de la réalisation de ce projet qui en fait un produit hors norme comparé aux nombreux jeux vidéo présents sur le marché. Dans la salle une classe de seconde du lycée Hemingway et une dizaine de personnes qui connaissent le jeu.

Voici quelques extraits de nos échanges menés avant et après sa présentation en essayant de ne pas trop dévoiler l’intrigue.

Un jeu sur la guerre mais pas un jeu de guerre ?


En effet, l’intrigue du jeu se déroule durant la guerre de 14-18 et plus précisément de 1914 à 1917. Les personnages principaux sont des soldats bien sûr mais aussi des infirmiers, des parents restés au village, un chien militaire… 


Ainsi le cadre des actions ne sont pas uniquement des scènes de combats ou de déplacements militaires mais également des lieux de vie au-delà du front de guerre. 

Cependant le ressort du gameplay ne repose à aucun moment sur des actions de combat ayant pour objectif de tuer ou blesser l’ennemi en faisant usage d’armes car l’évolution du joueur se fait surtout grâce à la résolution d’énigmes ou la réalisation d’actions d’aides des autres personnages. 

Il n’y a donc pas d’ennemi identifié dont il faut se débarrasser et les personnages ne combattent pas, n’ont pas la possibilité d’utiliser des armes. C’est un véritable parti pris éthique, nous avons voulu représenter la guerre au plus près de la réalité des violences mais sous un angle humain, l’ensemble des soldats n’ont aucune volonté belliqueuse de se retrouver face à face. 

Nous ne voulions pas mettre en avant le manichéisme mais le fait historique que ce fut une guerre d’hommes ordinaires. La dimension humaine est très présente dans les liens construits entre les personnages et jusque dans certaines actions du jeu comme la prise en charge de blessés par exemple.

De quelle manière ce jeu est inspiré de la réalité historique et documentaire ?


Ce jeu a pour cadre un événement historique très important pour l’histoire du monde car il concerne plusieurs pays l’Allemagne, la France, l’Angleterre, les Etats-Unis, le Canada, l’Italie, la Belgique… et à ce titre notre volonté a été de respecter le plus scrupuleusement possible la chronologie des faits réels, les décors naturels, les machines et avancées technologiques de l’époque. 


Rien n’est inventé, tout est vrai : de l’évolution des uniformes portés par les différentes armées aux engins et armes utilisées.



Un gros travail de recherches historiques a été réalisé pour rester fidèle à cette réalité. Une collaboration avec l’historien Alexandre Lafon de la mission du centenaire et le visionnement de la série Apocalypse, la première guerre mondiale (réalisée à partir d’archives restaurées et colorisées, coproduite par la France et le Canada) a permis de s’appuyer sur des expertises historiques solides.

Quel est l’origine de ce projet, une commande de circonstance ?


Ce projet n’est pas du tout une commande mais plutôt le fruit de mon obstination à travailler seul depuis 2010 sur cette histoire pour réussir à convaincre Ubisoft de son intérêt et à passer au stade de production. C’est une histoire de passion et de volonté. 


Je suis passionné d’histoire toutes périodes confondues et plus émotionnellement touché par celle de la guerre de 1914-1918 qui a marqué la région dont je suis originaire. 

Ubisoft convaincu, malgré le risque de la vision d'auteur proposée pour ce jeu, choisi quand même de dédier un budget de production équivalent à peu près à 10 % d’une production à forte plus-value commerciale avec le choix d’une distribution exclusivement numérique. 

C’est une équipe restreinte qui m’a rejoint pour travailler de 2012 à 2014. Bien sûr l’opportunité des célébrations nationales du bicentenaire de la première guerre ont favorisé la réalisation du jeu avec le soutien de la Mission du centenaire.

Comment un jeu au format si différent de ceux produits ordinairement par Ubisoft a pu trouver rencontrer son public ?


J’avais la volonté de construire une narration historique avec une forte dimension humaine et émotionnelle. C’est pourquoi j’ai choisi ce style graphique en 2D avec un trait « cartoon » proche de la bande dessinée réaliste. Le joueur devait accrocher à l’histoire et aller jusqu’au bout. C’est cette dimension émotionnelle qui capte l’intérêt du joueur ainsi que la force de l’histoire inspirée de faits réels.


Cela entraîne un effet secondaire pour les joueurs car ils se « cultivent innocemment ». Plusieurs séquences documentaires historiques sont disponibles et complètent les informations sur les événements du jeu.

L’aspect visuel et créatif met en valeur l’histoire et prime sur le gameplay, ce qui n’est pas fréquent dans un jeu vidéo, mais n’empêche pas le jeu de rencontrer le succès ! Au contraire et il fait toujours partie des jeux téléchargés par le public. Et les retours que nous pouvons avoir des joueurs confirment qu’ils découvrent l’aspect historique avec intérêt !

Ce projet très différent de ceux  du marché actuel a été remarqué dans plusieurs catégories, comme celle des jeux dit éducatifs et des jeux historiques et a été récompensé de nombreux prix : « Game for change », « Historia », « Fun and serious »…


Plusieurs rencontres ont eu lieu avec des enseignants, des psychologues pour accompagner l’usage de ce jeu dans un cadre éducatif. C’est formidable car je voulais que cette narration qui s’appuie sur l’histoire soit vecteur de médiation et de transmission afin de mieux faire connaître cette période à un public jeune apriori peu intéressé par cette période terrible.



L’histoire du jeu s’arrête en 1917 et ne couvre donc pas toute la période du conflit, peut-on imaginer qu’une suite soit envisageable ?


Mon travail personnel autour de ce projet, la quantité de dessins et de recherches historiques accumulée permettrait de raconter la fin de cette guerre dans un opus 2, il suffit qu’Ubisoft décide d’engager une nouvelle production…pour une sortie en 2018.

Paul Tumelaire est dessinateur autodidacte qui débute sa carrière au début des années 1990 en même temps que naissent les jeux vidéo. Il travaille au sein de différentes équipes de production avant d’être appelé par Ubisoft pour rejoindre Montpellier où il est directeur artistique. Il est associé à la réalisation de grands classiques de jeux vidéo grand public comme Rayman ou Beyond Good and Evil. Il porte dans son ensemble la réalisation de Soldats inconnus, mémoires de la grande guerre.

Entretien réalisé avec Paul Tumelaire par Bénédicte Tellier le vendredi 18 décembre dans le cadre du Nîmes Open Game Art.

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